Le 07 octobre 2007, le poète palestinien Mahmoud Darwich (en arabe : محمود درويش) lisait son poème “Pour décrire les fleurs d'amandier” au Théâtre de l'Odéon (Odéon - Théâtre de l'Europe). Traduction de l'arabe vers le français : Elias Sanbar. Lecture de la traduction française : Didier Sandre. Peinture : Vincent Van Gogh, “Amandier en fleurs”, 1890. “Pour décrire les fleurs d'amandier” :
Pour décrire les fleurs d'amandier, l'encyclopédie
des fleurs et le dictionnaire
ne me sont d'aucune aide...
Les mots m'emporteront
vers les ficelles de la rhétorique
et la rhétorique blesse le sens
puis flatte sa blessure,
comme le mâle dictant à la femelle ses sentiments.
Comment les fleurs d'amandier
resplendiraient-elles
dans ma langue, moi l'écho ?
Transparentes comme un rire aquatique,
elles perlent de la pudeur de la rosée
sur les branches...
Légères, telle une phrase blanche mélodieuse...
Fragiles, telle une pensée fugace
ouverte sur nos doigts
et que nous consignons pour rien...
Denses, tel un vers
que les lettres ne peuvent transcrire.
Pour décrire les fleurs d'amandier,
j'ai besoin de visites
à l'inconscient qui me guident aux noms
d'un sentiment suspendu aux arbres.
Comment s'appellent-elles ?
Quel est le nom de cette chose
dans la poétique du rien ?
Pour ressentir la légèreté des mots,
j'ai besoin de traverser la pesanteur et les mots
lorsqu'ils deviennent ombre murmurante,
que je deviens eux et que, transparents blancs,
ils deviennent moi.
Ni patrie ni exil que les mots,
mais la passion du blanc
pour la description des fleurs d'amandier.
Ni neige ni coton. Qui sont-elles donc
dans leur dédain des choses et des noms ?
Si quelqu'un parvenait
à une brève description des fleurs d'amandier,
la brume se rétracterait des collines
et un peuple dirait à l'unisson :
Les voici,
les paroles de notre hymne national !
Source : France Culture
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J’ai la nostalgie du café de ma mère,
Du pain de ma mère,
Des caresses de ma mère…
Et l’enfance grandit en moi,
Jour après jour,
Et je chéris ma vie, car
Si je mourais,
J’aurais honte des larmes de ma mère !
Je crierai dans ma solitude,
Non pour réveiller ceux qui dorment,
Mais pour que mon cri me réveille
De mon imaginaire captive !
Mon père
Un astre passa à l’horizon,
Descendant...descendant.
Ma chemise était
Entre feu et vent,
Et mes yeux pensaient
A des dessins sur le sable.
Et mon père a dit un jour :
Celui qui n’a pas de patrie,
N’a pas de sépulture
... Et il m’interdit de voyager !

L'ART D'AIMER
Avec la coupe sertie d’azur,
Attends-la
Auprès du bassin, des fleurs du chèvrefeuille et du soir,
Attends-la
Avec la patience du cheval sellé pour les sentiers de montagne,
Attends-la
Avec le bon goût du prince raffiné et beau,
Attends-la
Avec sept coussins remplis de nuées légères,
Attends-la
Avec le feu de l’encens féminin partout,
Attends-la
Avec le parfum masculin du santal drapant le dos des chevaux,
Attends-la.
Et ne t’impatiente pas. Si elle arrivait après son heure,
Attends-la
Et si elle arrivait, avant,
Attends-la
Et n’effraye pas l’oiseau posé sur ses nattes,
Et attends-la
Qu’elle prenne place, apaisée, comme le jardin à sa pleine floraison,
Et attends-la
Qu’elle respire cet air étranger à son cœur,
Et attends-la
Qu’elle soulève sa robe qu’apparaissent ses jambes, nuage après nuage,
Et attends-la
Et mène-la à une fenêtre, qu’elle voit une lune noyée dans le lait,
Et attends-la
Et offre-lui l’eau avant le vin et
Ne regarde pas la paire de perdrix sommeillant sur sa poitrine,
Et attends-la
Et comme si tu la délestais du fardeau de la rosée,
Effleure doucement sa main lorsque
Tu poseras la coupe sur le marbre,
Et attends-la
Et converse avec elle, comme la flûte avec la corde craintive du violon,
Comme si vous étiez les deux témoins de ce que vous réserve un lendemain,
Et attends-la
Et polis sa nuit, bague après bague,
Et attends-la
Jusqu’à ce que la nuit te dise :
Il ne reste plus que vous deux au monde.
Alors, porte-la avec douceur vers ta mort désirée
Et attends-la...!
Vous, qui tenez sur les seuils, entrez
Et prenez avec nous le café arabe.
Vous pourriez vous sentir des humains, comme nous.
Vous, qui tenez sur les seuils,
Sortez de nos matins
Et nous serons rassurés d'être comme vous,
Des humains!
On dit que la poésie se définit par son contraire.
Mais quel est le contraire de la poésie ?
J'imagine
J'imagine
et il n' y a pas de mal à cela
ni d'illusion;
que, d'un fil de soie, je coupe le fer,
que d'un fil de laine,
je construits les tentes du lointain
et que je leur échappe
et échappe à moi-même
car je suis...comme je suis!
Ici, sur les pentes des collines, face au couchant
Et à la béance du temps,
Près des vergers à l’ombre coupée,
Tels les prisonniers,
Tels les chômeurs,
Nous cultivons l’espoir.
La Palestine est belle - oui la Palestine est belle
Variée riche - riche en histoire
C'est une terre de mythes
de pluralismes
et elle est fertile malgré le manque d'eau
elle est modeste aussi
la nature y est modeste
c'est un pays simple
Voici la terre de mon poème
et dans ces terres je me sens un peu étranger
il est vrai que l'on peut se sentir étranger
même dans son propre miroir
il y a quelque chose qui me manque
et ça me fait mal
je me sens comme un touriste
sans les libertés du touriste.
Etre en visite me mine,
quoi de plus éprouvant que se rendre visite à soi même...
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Extrait d'un documentaire "Mamhoud Darwich : Et la terre comme une langue" de Simone Bitton
Sur cette terre
Il y a sur cette terre ce qui mérite de vivre :
les hésitations d’avril,
l’odeur du pain à l’aube,
les opinions d’une femme sur les hommes,
les écrits d’Eschyle,
les débuts d’un amour, de l’herbe sur des pierres,
des mères se tenant debout sur la ligne d’une flûte
et la peur qu’éprouvent les conquérants du souvenir.
Il y a sur cette terre ce qui mérite de vivre :
la fin de septembre,
une dame qui franchit la quarantaine avec tous ses fruits,
l’heure de la promenade au soleil en prison,
un nuage mimant une nuée de créatures,
les ovations d’un peuple pour ceux qui montent à la mort souriants
et la peur qu’ont les tyrans des chansons.
Il y a sur cette terre ce qui mérite de vivre :
il y a sur cette terre, le commencement des commencements,
la fin des fins,
On l’appelait Palestine et on l’appelle désormais Palestine.
Madame je mérite, parce que vous êtes ma dame, je mérite de vivre.